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Conversation avec
Louis–Géraud Castor
Castor Fleuriste, interview: À propos (Fig. 1)
Portrait de Louis–Géraud Castor par Leon Frost pour L’Officiel
« Les fleurs sont la plus belle gamme pantone du monde »

Son œil a baigné dans l’art, les fleurs sont sa respiration : de ces deux axiomes est né son activité de fleuriste, il y a sept ans. Louis–Géraud Castor propose depuis des compositions nées de son goût et de son inconscient, profondément respectueuses des saisons.

Il nous en explique la genèse.

Quel est votre premier souvenir de fleurs ?

Des fleurs de carotte et des cosmos à la fin de l’été, sur un chemin, en Auvergne. Je devais avoir six, sept ans, je rentrai chez ma grand–mère. J’ai tout de suite cherché un vase dans sa vitrine, je me souviens d’un en métal argenté avec un tout petit col en verre. Une amie de ma grand–mère m’apportait aussi des œillets et des fraises des bois de son jardin. Dans les tableaux du haut Moyen–Âge, des jeunes hommes avec un œillet à la main sont souvent représentés. Cette fleur a très bizarrement mauvaise presse alors qu’elle est très belle.

Pourquoi pensez-vous que ramassiez-vous des fleurs, enfant ?

Parce qu’elles se tournaient vers le ciel.

Quelle est votre fleur préférée ?

Je reste très attaché, parce que je l’ai vraiment découverte en devenant fleuriste, à la tulipe. C’est une fleur extrêmement vivante, une fleur qui est belle du début à la fin, qui peut changer de couleur, qui s’oriente vers la lumière. Elle est presque aussi belle en floraison que fanée, elle peut être pétrifiée, comme une fleur en sucre. Une de mes premières commandes importantes pour Madame Prada a été de nettoyer quatre–cents tulipes d’un rose très particulier, une tulipe d’Avignon, qui va vers le corail. Elle a des tiges très longues, elle est presque indomptable.

Castor Fleuriste, interview: À propos (Fig. 2)
Tulipes du Midi, vase Mathilde Martin
Qu’est–ce que votre ancien métier de marchand d’art apporte à votre métier de fleuriste ?

La sélection, la précision du choix. D’aller presque assurément vers tel ou tel type de fleurs, tel type de couleurs, tel type de matière. Quand je vais au marché aux fleurs, j’ai l’impression de reprendre le rythme de la chine, de la recherche d’objets. Je suis appelé par une profondeur, une densité. Inconsciemment, remontent aussi toutes les représentations florales qui ont pu me toucher dans l’art. Un dessin de Foujita m’a beaucoup parlé : juste quelques tiges dans un verre transparent. J’ai beaucoup travaillé sur Jean–Michel Frank et cette période extraordinaire de l’art où les fleurs étaient extrêmement simples dans les intérieurs sophistiqués : c’est ce qu’on appelle l’étrange luxe du rien. J’avais envie de proposer cela : ramener dans les intérieurs des brassées de fleurs, des fleurs pas mélangées. Au mois d’avril, une énorme brassée de lilas blanc dans un intérieur, c’est sublime.

Quel est votre rapport aux saisons ?

Indispensable et essentiel. Le temps court, nous sommes scotchés aux réseaux, j’ai une profonde envie de respecter les saisons. Je refuse d’acheter des pivoines qui viennent d’Australie en plein hiver. J’aime profondément cette madeleine de Proust des pivoines de mai, des graminées que l’on a coupé dans les champs au mois de septembre, des branches de cerisier à la sortie de l’hiver, du cotinus en fleurs début juin. La saisonnalité est pour moi une respiration indispensable. Mais en sept ans, j’ai vu disparaître des fleurs que j’attendais avec impatience. Je constate une catastrophe absolue programmée. Des producteurs ont arrêté leur production en raison du réchauffement climatique. Cette année, il n’y avait quasiment pas de tulipe. Les bulbes ont pourri, trop d’eau, il ne faisait pas assez froid. La famille Mangini, des producteurs de fleurs depuis plusieurs générations, avait une culture extraordinaire de calas et d’arums avec des couleurs magnifiques, particulièrement le blanc qui, en fonction du soleil, voyait les bords des calas se parer d’un rose très pale. Et bien cette production s’est éteinte.

Quel était votre rapport aux fleurs avant d’en faire votre métier ?

En étant marchand, j’ai travaillé le samedi et le dimanche extrêmement longtemps et, même si je n’étais pas disponible, nous aimions avec ma compagne fêter le week–end le vendredi soir. Fleurir la maison le vendredi a toujours été une habitude. Je rentrai à la maison avec des fleurs et vivai ce temps suspendu de la préparation : les nettoyer, les arranger dans des vases, un moment en dehors de tout, en dehors des stress, en dehors des angoisses, un moment qui me permettait d’être bien. J’ai voulu transmettre cela aux gens : la respiration qu’apporte les fleurs.

Comment définiriez-vous votre style ?

J’aime vraiment le monochrome. J’adore Soulages, Nicolas de Staël, Mark Rothko. L’abstraction dans la peinture et la simplicité dans la période des Arts décoratifs. Des artistes comme Jean–Michel Frank, j’y reviens, ont amené la simplicité dans les formes et la rugosité des matières comme des paravents avec de la marqueterie de paille, un matériel pauvre qui devient alors extrêmement luxueux. Je me revendique un peu de cette mouvance du luxe pauvre. Je pense qu’on peut faire un bouquet somptueux avec des fleurs ultra simples, comme le cosmos, une fleur des champs, en travaillant à retirer ses feuilles, puis la masse, la forme, amènent quelque chose de somptueux. J’aime aussi beaucoup les éponges d’Yves Klein et cette sensation de densité qui amène une profondeur, comme une aspiration. J’ai vu la réaction des gens à mes bouquets quand ils sont très denses : ils sont comme aspirés par la beauté des couleurs et par la beauté des fleurs.

Quel bouquet est à l’opposé de votre conception du bouquet ?

Je les appelle les bouquets « salade de fruits » : un bouquet super mélangé avec pleins de fleurs différentes, plein de couleurs, du feuillage. Une salade de fruit industrielle.

Quel est le bouquet que vous avez composé qui vous a le plus surpris ?

Un bouquet que j’ai appelé « Araki » a cartonné sur Instagram. Je l’avais attaché deux fois avec du raphia dans un esprit un peu bondage. Il était composé de tulipes d’un bleu « outremer ». J’ai fait la composition très simplement, l’ai piquée sur un kenzan (un pique-fleurs japonais), fait une photo et ça a été un raz de marée de plus d’un million de vues. Je ne l’explique pas.

Castor Fleuriste, interview: À propos (Fig. 3)
Bouquet « Araki »
Quel est votre rapport aux vases ?

Je suis dingue des vases. Cela a été un des actes déclencheur de ma reconversion. Je trouve fou que des gens qui mettent beaucoup d’argent dans leur intérieur n’aient pas de vases corrects. La plupart ont des tubes en verre. Tout est parti de ma marraine dans l’art, Francine Grunwald, la petite–fille du marchand de Gustav Klimt et d’Egon Schiele, grande marchande elle–même, qui m’a dit un jour : « Je n’offre jamais un bouquet de fleurs sans le vase qui l’accompagne ». Je devais avoir dix–huit ans et j’ai trouvé cette phrase tellement élégante, tellement chic. Cela m’est apparu comme une évidence de proposer des fleurs avec un vase. Les fleurs sont périssables, laisser un objet est un beau cadeau. Sinon, on peut chiner sur eBay, le Bon coin, dans une brocante des vases à cinq euros en verre taillé. Et puis, j’ai ce goût de l’objet d’art : les vases d’Emile Gallé, Jean Després, Jean Dunand, les céramiques de Picasso, les vases de Madura, de Primavera, de C.A.B. Aujourd’hui, dans un intérieur que l’on veut sobre, je pense qu’il faut avoir un canapé, une table basse, un vase.

Avez-vous déjà pleuré devant une fleur ?

Je crois que cela m’est arrivé une fois. C’était tellement beau, une anomalie. Dans un moment de solitude, le matin de retour du marché aux fleurs, en dégrafant les krafts des producteurs de saison, j’ai vu une rose. Une rose toute blanche avec un pétale rose. J’en ai eu la larme à l’œil. Je l’ai rapportée à la maison, comme une fleur magique, comme la rose de La Belle et la Bête.

Par Marianne Mairesse
Photo Louis–Géraud Castor